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Mumbai, modernité, inégalités

 

 

 

Mumbai, anciennement Bombay, est ici envisagée à l’échelle locale comme un cas emblématique du développement de l’Asie tout autant que des inégalités qui persistent pourtant sur ce continent.

 

I Mumbai, une métropole émergente

 

A. Une ville industrielle et portuaire ancienne marquée par une forte croissance démographique

 

1. Éléments de situation géographique et historique

 

La ville, capitale de l’État du Maharashtra, bénéficie d’une situation privilégiée : elle s’est en effet développée sur une île de la mer d’Oman, l’île de la Salsette, très proche de la côte, au niveau de l’embouchure du fleuve Ulhas. Cette île est séparée de la côte du continent par un vaste plan d’eau, abrité de la mousson : Thane Creek. La partie de l’île regardant vers le continent se prêtait ainsi à l’aménagement d’un port à l’abri des tempêtes de l’Océan indien, assez agité pendant la mousson : le nom de la ville fait d’ailleurs référence à cette position d’abri : les colons portugais baptisèrent le comptoir qu’ils fondèrent Bom Bahia (bonne baie), transformé par la suite par les Britanniques en Bombay, nom que la ville a conservé jusqu’en 1996, avant de prendre le nom marathi de Mumbai.

Les Britanniques, puissance coloniale dès le XVIIème siècle, ont lancé l’essor industriel de la ville au XIXème siècle : construction du premier chemin de fer d’Asie en 1853 (entre la ville et celle de Thane). Aujourd’hui encore, l’ancienne gare Victoria et son architecture néo-gothique témoignent de l’héritage britannique. Première filature de coton dans le centre de la ville à la même période. Avec les ateliers de tissage apparaissent les premières banques. Enfin, l’ouverture du canal de Suez en 1869 facilite les liaisons Europe – Indes et provoque l’expansion des docks. La prospérité économique de la ville s’est donc construite à partir des années 1850 autour de l’industrie textile et du commerce avec la métropole anglaise et l’Europe. Dès la fin du XIXème siècle, Mumbai est la capitale économique du pays, même si la capitale politique n’y a jamais été installée (ni avant l’indépendance (Calcutta), ni après en 1947 (New Delhi).

 

2. Croissance démographique et étalement urbain

Avec une aire urbaine de 21 millions d’habitants (dont 13 intra-muros), Mumbai est la ville la plus peuplée du pays, à peu près à égalité avec l’agglomération de Delhi (19 millions) et assez loin devant Calcutta (aujourd’hui Kolkata, 15 millions). La population de Mumbai a connu une très forte croissance depuis l’indépendance. La croissance urbaine devrait se poursuivre au même rythme dans les prochaines décennies et pourrait faire de Mumbai la ville la plus peuplée du monde d’ici 2020.

Cette croissance démographique vient d’abord de l’accroissement naturel de la ville : l’Inde est en train de terminer sa transition démographique (le gouvernement encourage d’ailleurs une politique de limitation des naissances). Cependant, la fécondité des urbains est plus faible que celle des ruraux et l’augmentation de la population est majoritairement due aux migrations : l’exode rural est très fort en Inde (le taux d’urbanisation de la population urbaine est faible en Inde, autour de 32 %, mais celui de croissance de la population urbaine est très élevé : les campagnes constituent un immense réservoir de population pour les villes). La richesse de Mumbai, par rapport aux campagnes environnantes, la rend très attractive pour l’ensemble du pays.

Cette attractivité a deux conséquences  spatiales : densification et extension. d’une part, la ville se caractérise par des records mondiaux en la matière. Dans la ville centre de Mumbai, 50 000 hab. /km², soit 3,5 fois plus qu’à New York et 7 fois plus qu’à Londres. Les pics de densité atteignent même 100 000 hab./km² dans certains quartiers du centre. D’autre part, la ville s’étend de plus en plus loin de son centre originel, au sud de l’île de la Salette, vers le Nord et vers le continent sur une soixantaine de km. Les aménagements doivent désormais être organisés à l’échelle d’une vaste région métropolitaine : depuis les années 1950 et 1960, le gouvernement de l’État du Maharashtra a aménagé sur le continent une ville nouvelle, Navi Mumbai, une des plus grandes villes nouvelles du monde (2,6 millions d’habitants).

 

B. Une métropole insérée dans la mondialisation

1. La concentration des fonctions de commandement

Mumbai est aujourd’hui une ville mondiale de second rang : selon le classement des villes mondiales du GaWC (Globalization and World Cities Study Group and Netwok), Mumbai est passée entre 2004 et 2008 d’un statut de ville mondiale de rang 4 à une ville de range 3, càd dans la même catégorie que São Paulo, Moscou ou Los Angeles. Si son rayonnement à l’échelle nationale et continentale est évident, il reste encore limité à l’échelle mondiale, du fait de sa dépendance : une grande partie de son activité est liée à la sous-traitance et à des délocalisations de firmes issues des pays du Nord. Son produit urbain brut (autour de 100 milliards de $) représente 5 % du PIB de l’Inde (mais il reste modeste au regard d’autres grandes métropoles (500 milliards pour Paris, 1700 pour Tokyo).

Mumbai est passée de la production industrielle à la prestation de services et s’insère de mieux en mieux dans la mondialisation :

- Son activité industrielle représente 25 % de celle du pays. 40 % de la population active de Mumbai est employée dans l’industrie : chimie, mécanique , agroalimentaire, production d’électricité (centre atomique de Trombay). A proximité de l’aéroport se trouve une zone franche spécialisée dans l’électronique et la taille des pierres précieuses. L’activité industrielle et artisanale est aussi intense dans les bidonvilles : fondée sur le travail et le traitement des matériaux de récupération, l’activité artisanale du bidonville de Dharavi fait du quartier une zone industrielle à part entière (5000 unités industrielles) dont le CA annuel est évalué à 400 millions d’euros.

- Une place financière importante : 70 % des transactions de capitaux de l’économie indienne y sont réalisés. Mumbai compte parmi les 10 plus importantes places financières mondiales par l’importance des flux. Elle abrite la Banque de réserve indienne, la Bourse de Mumbai et la Bourse nationale d’Inde.

- Une importante centre intellectuel et un soft power relativement important : la ville et l’un des principaux pôles d’enseignement supérieur et de recherche en Asie du Sud est : institut Tata pour la recherche fondamentale, centre de recherche atomique, instituts de recherche sur les technologies de l’information, écoles de commerce, d’architecture, université de Mumbai fondée en 1857. De plus, Mumbai est en Inde la capitale du divertissement : elle abrite la plupart des studios de film et de télévision indiens (à Film City, près de l’aéroport). L’industrie du film de Mumbai (qui n’est pas la seule dans le pays) est celle qui s’exporte le mieux, vers le sous-continent, les Indiens expatriés, les pays arabo-musulmans et l’Afrique. On a forgé pour la désigner le terme de Bollywood.

 

2. Des infrastructures qui relient Mumbai au monde

Mumbai est un important carrefour :

- Portuaire (40 % du commerce maritime indien). Les infrastructures portuaires s'étendent sur une dizine de km, sur la façade orientale de la presqu'île. De nouvelles zones industrialo-portuaires se sont déplacées de l'autre côté de la baie de Thane, au Nord et à l'Est.

- Ferroviaire : important réseau de banlieue (chemin de fer suburbain, le plus important du pays, qui transporte chaque jour presque 7 millions de personnes) et réseau national qui dessert tout le pays. Historiquement, Mumbai est le cœur du réseau ferré indien.

- Aéroportuaire : 1er aéroport de l'Inde devant Delhi, avec 25 millions de passagers, presque 25 % du trafic intérieur et 40 % trafic international du pays. L'aéroport de Mumbai est la porte d'entrée de l'Inde. C'est le premier aéroport d'Asie du SE. Un nouvel aéroport est en projet à Navi Mumbai pour 2018.

 

C. La traduction sociale et spatiale de l'émergence

Spatialement : l'émergence se traduit par l'existence d'un quartier d'affaires et la création d'un second CBD. Le quartier d'affaires et d'administration le plus ancien est assez disparate et se situe au sud de la presqu'île, dans le centre-ville, partie la plus aisée de la ville : dans le quartier du Fort et dans celui, tout proche, de Nariman Point, sont juxtaposés des bâtiments anciens de l'époque coloniale et des hautes tours récentes. Un second CBD a été créé plus récemment à partir des années 1980 et est toujours en extension, affirmation du polycentrisme dans une agglomération tentaculaire : ce nouveau CBD de Bandra Kurla, au Nord du entre, près de l'aéroport, est hérissé de tours et abrite une deuxième bourse, des banques, de grands hôtels, des sièges d'entreprises indiennes ou des filiales des grands groupes étrangers, l'American School of Bombay...

Socialement : en Inde, la classe moyenne et supérieure regroupe désormais entre 200 et 250 millions de personnes, soit numériquement autant qu'aux EU, même si proportionnellement cela ne représente qu'autour de 15 % de la population. Cette élite, éduquée et attirée par le mode de vie anglo-saxon, s'affirme depuis les années 1990 et est principalement concentrée à Mumbai. Ainsi, la famille Tata est à la tête d'un vaste conglomérat (qui va de l'automobile à la chimie ou l'informatique) ou la famille des Ambani, à la tête du conglomérat Reliance Industries.

La situation de Mumbai est donc emblématique du dynamisme économique de l'Asie du Sud et de l'Est : les autorités, s'inspirant des réussite de Shanghai et de Singapour, veulent intégrer la ville à la mondialisation et en faire une ville mondiale de premier plan. Mumbai est devenue le symbole des réussites de l'Inde émergente et en tant que vitrine ouverte sur le monde, elle a récemment fait l'objet d’attaques terroristes : en 2008, des islamistes pakistanais ont attaqué des lieux qui représentent la modernité et la réussite de la ville (grands hôtels, gare), faisant 173 morts.

 

II. Une mégapole face aux inégalités

Le développement durable de la ville passe par une meilleure prise en compte de la question sociale : les très fortes inégalités sont un frein au développement de Mumbai.

 

A. Les problèmes d'une ville marquée par de très fortes inégalités

 

1. La question du logement

À Mumbai, en raison de la situation particulière du centre sur une presqu'île étroite, la place manque : les prix peuvent donc être encore très élevés, la densité est maximale et le moindre espace est occupé.Cette pression foncière renforce les inégalités que l'on observe dans toutes les villes émergentes. Globalement, l'organisation socio-spatiale respecte un gradient de richesse qui diminue plus on va du Sud vers le Nord et de l'Ouest vers l'Est.

Mumbai compte de nombreux quartiers aisés : l'inauguration en 2010 d'Antilia, l'immeuble privé de 27 étages appartenant au magnat Mukesh Ambani, est le symbole de cette extrême richesse. Des quartiers résidentiels aisés entourent le centre historique, le quartier du Fort : ceux de la pointe de Colaba et de la colline de Malabar (à l'Ouest, le long de l'Océan Indien), avec leurs villas, leurs parcs, leurs immeubles de standing ayant vue sur la baie. Lorsqu ces quartiers sont anciens, ils ont connu depuis une trentaine d'années un phénomène de gentrification, contemporain du remplacement de la fonction industrielle de ces quartiers par des activités de service.

Les bidonvilles qui résultent de la croissance anarchique de la ville regrouperaient aujourd'hui plus de 6 millions d'habitants : on les nomme en Inde slums et on qualifie parfois Mumbai de « slumbay » pour qualifier une ville où plus de la moitié de la population municipale vit dans des conditions très précaires. La localisation de ces bidonvilles est souvent liée aux conditions naturelles ingrates qui rendent l'urbanisation plus difficile : près des marécages, de la mangrove, de la forêt du parc national Sanjay Gandhi dont ils grignotent l'espace. Ces bidonvilles peuvent être très étendus : c'est le cas de Dharavi qui serait le plus grand bidonville d'Asie avec autour d'un million d'habitants, sur 175 hectares. Sa situation est très centrale dans l'agglomération de Mumbai, entre le centre ville et le nouveau CBD à proximité de l'aéroport. Il est construit sur un site marécageux, le long des lignes de chemin de fer desservant la banlieue et le reste du pays. Les autres grands bidonvilles de Mumbai sont en périphérie, à plus de 20 km des quartiers centraux. Dans le centre cependant subsistent des bidonvilles beaucoup plus petits et d'ailleurs beaucoup plus centraux encore que celui de Dharavi : ces slums pocket se glissent dans des interstices urbains, sur des terrains vagues entre deux quartiers, le long d'une plage ou d'une voie ferrée. Ils sont parfaitement visibles sur Google Earth au sud de la presqu'île, c'est-à-dire jouxtant immédiatement les quartiers les plus aisés. Ces petits bidonvilles connaissent aujourd'hui une pression immobilière très forte car la municipalité souhaite embellir le centre-ville.

Mumbai est donc une juxtaposition de quartiers à l'urbanisme totalement opposé : l'extrême misère cohabite avec la plus grande richesse : il n'y a pas dans la ville de zonage en quartier strictement séparés selon leur population et leur fonction.

 

2. La question de l'accès à l'eau et aux transports

Des transports publics insuffisants et saturés : Mumbai fait partie des métropoles indiennes qui disposent d'un véritable réseau de transports publics (autobus et trains de banlieue), mais qui reste très insuffisant et saturé, d'autant que le taux de motorisation de la population (voiture individuelle) est faible : les transports publics comptabilisent près de 90 % des déplacements journaliers. Les trains transportent ainsi deux fois et demi leur capacité de voyageurs, la régulation du trafic est rendus très difficile par la variété des modes de transports aux vitesses très différentes sur les mêmes voies (pas de transport motorisé en site propre). Le phénomène de l'émergence et l'essor de la classe moyenne vont accroître les déplacements et l'acquisition de véhicules individuels. La question des transports est donc l'un des grands enjeux d'une métropole qui a des ambitions mondiales, d'autant que les conditions naturelles peuvent venir aggraver les conditions de circulations déjà pénibles (lors de la mousson, les inondations paralysent le trafic).

Un accès à l'eau inexistant ou intermittent : la moitié de la population n'a pas accès à l'eau courante ou à des toilettes. La charge quotidienne d'aller chercher de l'eau repose sur les femmes et les enfants, au détriment du travail féminin et de la scolarisation. Là où l'eau est distribuée, la demande est tellement supérieure à l'offre que l'accès est souvent restreint à quelques heures par jour.

 

B. Une ville en voie de modernisation

Pour faire face à ces problèmes de l'accès au logement et de l'engorgement des transports, des politiques ont été et continuent d'être menées :

 

 

 

1. Une destruction des bidonvilles qui ne résout pas tous les problèmes

Les bidonvilles font l'objet de l'attention de plusieurs acteurs : de la part de promoteurs immobiliers car leur situation géographique est parfois centrale, ou de la part des autorités municipales qui essayent d'améliorer le parc de logement de la ville et les conditions sanitaires dans lesquelles vit la population. Le centre de Mumbai compte aujourd'hui de moins en moins de logements insalubres et ressemble de plus en plus à celui d'une autre métropole mondiale : plus de 100 000 logements ont été construits entre 1995 et 2009. Mais ces nouveaux logements sont souvent à la périphérie (et aggravent le problème de la congestion des transports publics) et lorsqu'ils sont dans le centre, les loyers excèdent souvent les capacités financières de la population qui vivait dans le slum que l'on a détruit. La population pauvre est donc souvent rejetée à la périphérie (d’où le phénomène de gentrification du centre) et n'est d'ailleurs pas toujours relogée : les bidonvilles ne font parfois que se déplacer plus loin.

Le grand projet actuel concerne l'immense bidonville de Dharavi : depuis 2004, un vaste plan de développement est à l'ordre du jour : le Dharavi Redevelopment Project. Il est proposé par la municipalité et un promoteur, qui promettent de reloger 57 000 familles pauvres (5 à 10 personnes), dans des appartements de 25 m² en finançant l'opération par la vente d'immobilier de luxe. Ce projet est très controversé et la majorité des résidents s'y est opposée, en partie la populaiton qui y travaille : leurs activités ont besoin de locaux beaucoup plus vastes que 25 m² (et en rez-de-chaussée). Le plan ne prévoyait de reloger que les personnes qui vivaient déjà dans ce bidonville avant 2000 (mais comment les reconnaître?).

 

2. L'aménagement d'infrastructures modernes

 

- Désengorger le centre : la création du nouveau centre financier de Bandra Kurla vise à désengorger le sud de Mumbai, coincé sur sa presqu'île.

- Fluidifier la circulation : construction du pont maritime de Bandra Worli Sea Link, un pont à hauban de presque 6 km supportant 8 voies de circulation et reliant le nouveau centre d'affaires de Bandra au quartier de bureaux de Worli, en plein développement. Il réduit considérablement le temps de transport et est financé par un péage, mais contribue à l'augmentation du trafic routier. Sa construction n'a été rendue possible que par celle d'autoroutes aériennes qui traversent des quartiers défavorisés qui subissent ainsi des nuisances sans en tirer aucun bénéfice.

- Améliorer les transports en commun : la construction d'un métro a commencé en 2008 et les premières rames doivent entrer en service en 2014. En 2021, 63 km, 12 stations et 3 lignes devraient avoir été construites et permettre de transporter 1,5 millions de voyageurs par jour. Veolia et Reliance sont les sociétés qui le construisent.

 

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