Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ProfesseurRP
ProfesseurRP
Publicité
Archives
Pages

Le projet d'une Europe politique depuis le congrès de La Haye en 1948

 

 

I La naissance du projet d'Europe politique (1948 – 1957)

A. Aux origines de la construction d'une Europe politique

  1. Les motivations liées au contexte de la fin des années 1940
  2. Le congrès de la Haye et les premières divisions sur le projet européen

 

B. Les débuts difficiles de la construction européenne

  1. L'échec d'une Europe politique et fédérale
  2. La relance de l'Europe par l'économie

 

II La construction d'une union économique dans une Europe divisée par la Guerre froide (1957 – années 1980)

 

A. Les approfondissements et les élargissements successifs

  1. L'approfondissement des politiques communes
  2. Des élargissements encore limités à l'Europe occidentale

 

B. Une construction difficile et incomplète

  1. Les obstacles et les difficultés de la CEE dans les années 1960
  2. Les blocages d'une construction seulement économique dans les années 1970 et 1980

 

III Difficultés de la construction d'une Europe politique sur un continent réunifié (depuis la fin des années 1980)

A. Un élargissement sans précédent

  1. La fin de la division du continent européen
  2. L'élargissement en question

 

B. Un approfondissement important mais aujourd'hui en panne

  1. Les progrès de la logique d'approfondissement politique
  2. Une construction politique néanmoins encore faible
  3. La crise des années 2000 et la réforme des institutions

 

Au milieu du XIXème siècle, Victor Hugo appelait déjà de ses vœux la construction d’un État européen. L’idée de construire pacifiquement une Europe unie n’est donc pas neuve. Mais c’est le contexte des lendemains de la Seconde Guerre mondiale qui permet au projet de construction européenne de voir le jour : la volonté de combattre le nationalisme pour assurer une paix durable conduit à une remise en cause de l'Etat-nation et à l'émergence d'organisations régionales interétatiques. La construction européenne, qui n’est pas linéaire mais est faite de période d’avancée et de crise, est la tentative la plus aboutie d'union entre les États d'un même continent. Mais les divergences sont profondes sur les orientations et les objectifs qu'elle doit poursuivre et les opposants au projet européen sont nombreux. Comment le projet d’Europe politique a-t-il évolué depuis 1948 ? Dans quelle mesure la construction de l’Union européenne a-t-elle dépassé le stade de l’union économique pour constituer une Europe politique souveraine ? La construction d’une Europe politique a-t-elle fait de l’Europe une grande puissance mondiale ?

 

 

 

I La naissance du projet d'Europe politique (1948 – 1957)

 

A. Aux origines de la construction d'une Europe politique

 

  1. Les motivations liées au contexte de la fin des années 1940

- Le premier objectif consiste à éviter toute nouvelle guerre : le traité de Versailles et les traités annexes avaient cherché à affaiblir les vaincus après la Première Guerre mondiale. Ils n’avaient fait que susciter des envies de revanche. Après la 2GM, on veut au contraire s’unir, vainqueurs comme vaincus pour prévenir le retour de la guerre : Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, propose en 1950 à la RFA de participer à cette construction afin que « toute guerre entre la France et l’Allemagne devienne non seulement impensable mais matériellement impossible ».

- Le second objectif consiste à conserver un rôle dans le concert des nations : affaiblis ou ruinés économiquement et moralement par la 2GM, les pays européens ont à faire face aux débuts de la décolonisation dès la fin de la guerre. Vivement critiqués sur la scène internationale, il leur faut trouver un moyen de continuer à exister sur la scène mondiale.

- Le troisième objectif consiste à contrer la menace soviétique : ce projet traduisait certes d’un côté un désir de paix, mais il s’inscrivait aussi dans un contexte international nouveau, celui de la Guerre froide. L’idée était qu’en étant unis, les principaux États européens de régime démocratique et d’économie libérale résisteraient mieux au danger représenté par l’Union soviétique. L’Europe à naître, du fait de la GF, ne pourra être qu’occidentale et se retrouvera rapidement limitée à l’Est par le « Rideau de fer ». Les États-Unis, organisateurs du monde d’après guerre, se montraient d’ailleurs très favorables à cette idée d’autant plus qu’ils y trouvaient économiquement leur compte : les États-Unis cherchent à relever économiquement l’Europe afin qu’elle ne devienne pas communiste. C’est le sens de la doctrine Truman qui trouve son application dans le plan Marshall. Afin de percevoir et de se répartir les 13 milliards de l’aide américaine, les 16 pays acceptant le plan Marshall sont poussés à s’organiser pour s’entendre. Ce sont ainsi les États-Unis qui poussent l’Europe occidentale à s’organiser pour la première fois : l’Organisation Européenne de Coopération Économique est créée en avril 1948. C’est ainsi la première étape de réintégration diplomatique de l’Allemagne occidentale. Mais le contexte de Guerre froide pousse aussi les pays d’Europe occidentale à s’unir militairement sous commandement américain. Le traité de l’Atlantique Nord est ainsi signé en avril 1949. Bien que composée majoritairement de pays européens, l’OTAN est en fait entièrement dépendante des États-Unis.

 

  1. Le congrès de la Haye et les premières divisions sur le projet européen

Des initiatives viennent finalement des Européens eux-mêmes : de multiples organisations paneuropéennes reprenant les projets des années 1920 naissent entre 1945 et 1947. En mai 1948, les délégués de ces différentes organisations tiennent un grand congrès à La Haye : sous la présidence de l'ancien Premier ministre W. Churchill, 800 délégués de 18 pays se réunissent pour réfléchir aux différents moyens d'unifier l'Europe. Mais les divergences sont grandes entre fédéralistes et unionistes. Les unionistes considèrent que la construction européenne doit être un système de simple coopération intergouvernementale entre les pays, sans abandon de la souveraineté (une Europe des patries) ; les fédéralistes sont partisans d'une Europe supranationale, d'une fédération dans laquelle les États auraient renoncé à une large part de leur souveraineté.

Du fait de ces divisions, les résultats de ce congrès sont minces : le principal est la naissance en 1949 du Conseil de l’Europe : cette assemblée consultative est établie à Strasbourg, mais elle ne put jamais jouer le rôle politique que les partisans de l’unité de l’Europe espéraient (ses compétences sont minces : protection des droits de l’homme, santé, culture et environnement). Il reste un lieu de discussion plus que de décision.

Au-delà des divisions, ce projet de construire une Europe unie ne fait pas l'unanimité. Il est certes défendu par les deux principaux courants politiques au pouvoir en Europe dans l’après-guerre : la démocratie chrétienne (centre-droit dont les valeurs sont influencées par le christianisme) et la social-démocratie (gauche réformiste). Les principaux artisans du projet européen sont ainsi Jean Monnet et Robert Schuman en France, Alcide de Gasperi en Italie, Konrad Adenauer en Allemagne, Paul Henri Spaak en Belgique. Mais il n’est pas porté par tous les Européens : le Royaume Uni souhaite rester en marge car il considère que son intérêt réside davantage dans ses relations avec le Commonwealth et les États-Unis. De manière générale, les communistes sont hostiles à la construction européenne car elle se fait sur le modèle du libéralisme et contre l’URSS. En France, les gaullistes le refusent aussi par peur de l’Allemagne et au nom de l’indépendance nationale.

 

B. Les débuts difficiles de la construction européenne

 

  1. L'échec d'une Europe politique et fédérale

- Le succès de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA). L’idée d’une Europe politique suscite encore trop de réticences et les conceptions à son sujet divergent selon les pays. C’est pourquoi en 1950, la recherche de l’unité de l’Europe occidentale emprunte-t-elle une autre voie, plus restreinte, mais plus efficace : on fait le choix d’une Europe limitée, autour d’un seul secteur économique, le charbon et l’acier. On choisit donc une intégration sectorielle, mais le secteur choisi est primordial pour la reconstruction. Il s’agissait aussi de rassurer tous ceux qu’une reconstruction politique et économique rapide de l’Allemagne effrayait en mettant ainsi sous contrôle sa production de charbon et d’acier. Conçu donc pour deux pays principalement, la France et l’Allemagne, le « plan Schuman » n’en est pas moins la première étape d’une communauté plus large. Dès l’origine, le couple franco allemand est au cœur de la construction européenne. C’est Jean Monnet qui a beaucoup inspiré ce projet : la CECA voit le jour en 1951. Autour de la France et de la RFA, quatre autres pays acceptent de faire partie de cette communauté : l’Italie, la Belgique, les PB et le Luxembourg. Une Haute Autorité est constituée, indépendamment des gouvernements : c’est une instance supranationale qui dépasse donc sur ces questions la souveraineté nationale et dont les décisions ont plus de force que celles de chacun des 6 États membres sur les questions du charbon et de l’acier. La CECA montre que les Européens peuvent coopérer au sein d’une organisation fédérale qu’ils ont eux-mêmes créée.

- L'échec de la Communauté européenne de défense (CED). Grisés par leur succès avec la CECA, certains européistes (partisans de l’Europe) veulent constituer une alliance du même type mais sur le plan militaire. Le contexte est en effet celui de la guerre de Corée et la question se pose d’assurer une défense commune face à une éventuelle agression soviétique. Les États-Unis encouragent justement une défense militaire européenne autonome. Le problème du réarmement allemand fait ici surface : il est question d’autoriser la RFA à participer à la défense de l’Europe occidentale en intégrant ses divisions dans une armée européenne. Cette armée européenne serait placée sous le contrôle d’une autorité supranationale calquée sur le modèle de la CECA. Ce projet de Communauté Européenne de Défense est lancé par la France (plan Pleven) et est approuvé par les gouvernements des 6 États, mais il est abandonné en août 1954 à la suite du refus du Parlement français de le ratifier. En France en effet, les communistes et les gaullistesse rejoignirent dans le refus, les uns parce qu’ils ne voyaient pas l’utilité d’une CED dirigée contre l’URSS et les autres parce qu’ils refusaient que la France perde sa souveraineté. Les deux redoutaient le réarmement allemand. La solution trouvée pour réintégrer l’Allemagne est de la faire entrer dans l’OTAN en 1955 : c’est donc la solution atlantiste qui est préférée à la solution européenne.

Cet échec militaire marque la fin des illusions : la construction de l’Europe doit d’abord se faire sur le plan économique. En même temps que le projet de la CED, c’est celui d’une Europe politique dont certains rêvaient qui s’éloigne. Après un brillant départ, l’idée européenne semble en panne au milieu des années 1950.

 

  1. La relance de l'Europe par l'économie

Réunis à Messine en 1955, les représentants des six pays affirment la nécessité de relancer la construction européenne. L'échec de la CED a montré qu'il était trop tôt pour envisager une union de nature politique, on relance donc la dynamique européenne en tentant d’approfondir ce qui a fait ses preuves : la construction économique. La CECA ne s’intéressait qu’à un secteur économique bien particulier : on décide d’étendre la construction européenne à tous les domaines économiques. Les six États de la CECA signent à Rome le 25 mars 1957 deux traités majeurs, dans l'indifférence des opinions publiques :

- la CEE (ou Marché commun) : il s’agit de préparer un marché commun sans entraves douanières à réaliser en 12 ans, afin de permettre à terme la libre circulation des biens, des capitaux et des hommes.

- Euratom (ou Communauté européenne de l’Énergie atomique) dont le but est de réduire la dépendance énergétique des Européens par la promotion de l’énergie nucléaire civile pour se substituer aux énergies fossiles dans un contexte de forte croissance économique.

Les Traités de Rome créent des institutions européennes qui regroupent les pays membres. Les européistes sont tous partisans de créer des liens étroits entre les pays de la CEE. La (l'éternelle) question est de savoir quelle doit être la nature des liens (Cf. unionistes Vs fédéralistes). Un compromis est trouvé, comme le montrent les deux principales instances décisionnelles européennes : la Commission, qui siège à Bruxelles, ne représente pas les États mais les intérêts de la Communauté (prépare les propositions de lois) tandis que le Conseil des ministres qui vote les décisions sur proposition de la Commission est composé des ministres concernés de chaque pays. La première est une concession aux fédéralistes, le deuxième aux unionistes. C'est néanmoins ce dernier qui prend les décisions : la souveraineté des États est préservée.

 

II La construction d'une union économique dans une Europe divisée par la Guerre froide (1957 – années 1980)

 

Mises en place dans les années 1950 et 1960, les politiques communes vont vers un approfondissement dans les années 1970 et 1980, mais ces progrès ne sont pas linéaires. La construction européenne se fait par à-coups, les avancées sont suivies de périodes de difficultés.

 

A. Les approfondissements et les élargissements successifs

 

  1. L'approfondissement des politiques communes

C'est dans le domaine économique que les réalisations sont les plus importantes : le marché commun prévu est mis en place progressivement et son achèvement survient en 1968 : c’est bien plus qu’une zone de libre-échange car un tarif extérieur commun est institué aux frontières des Six : tous les pays membres appliquent les mêmes droits de douane pour les produits venant de l'extérieur. En 1962, la PAC (politique agricole commune) est instituée. Elle établit un marché agricole sans frontières : les produits agricoles peuvent circuler librement dans la CEE, les prix sont fixés de la même manière dans toute la CEE et le principe de préférence communautaire est établi. La PAC permet de moderniser les campagnes et de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe en augmentant la productivité.

Dans le domaine politique, les progrès sont plus timides : on tente d’accélérer le transfert de compétences des États aux institutions de la CEE pour la rendre plus légitime : le Parlement Européen, qui siège à Strasbourg, est élu à partir de 1979 au suffrage universel pour renforcer sa légitimité. Mais les élections européennes sont toujours marquées par un fort taux d’abstention. De manière générale, dans les années 1970, la CEE reste une communauté gérée selon les intérêts des États et non par un organe communautaire indépendant des Etats : en témoigne la création du Conseil européen en 1974 qui est une réunion 4 fois l’an des chefs d’État et de gouvernement des pays membres et qui fixe les grandes orientations.

C’est dans les années 1980 que la construction prend un nouveau souffle, surtout grâce à l’entente du couple franco-allemand Kohl-Mitterrand. L’Acte Unique européen est ainsi signé en février 1986, sous l’impulsion du président de la Commission européenne Jacques Delors. Ce texte définit pour l’année 1993 l’objectif d’organiser entre les douze pays membres un marché intérieur unique. Ce marché unique se caractérisera par la disparition des frontières intérieures et la possibilité non seulement pour les marchandises mais aussi pour les hommes de circuler totalement librement. L’Acte unique évoque des ambitions plus vastes que le simple domaine économique : il affiche une ambition politique de supranationalité, des ambitions sociales, une ambition d’unification monétaire des pays de la CEE, l’ambition d’une politique étrangère commune.

 

  1. Des élargissements encore limités à l'Europe occidentale

1973 : premier élargissement vers le Nord. Pour des raisons que nous verrons par la suite, de Gaulle s'était toujours opposé à l’entrée de la GB dans la CEE. Avec le départ de ce dernier en 1969 et bien que ce soit un gaulliste (Pompidou) qui lui succède, les réticences disparaissent : dès 1973, l’Europe des Six devient l’Europe des Neuf avec l’entrée de la GB, du Danemark et de l’Irlande. La GB finit donc par être intégrée, même si elle a toujours montré des hésitations. Elle a néanmoins préféré ne pas se marginaliser en restant à l’extérieur. C’est donc un succès pour la CEE qui intègre une partie de l’Europe nordique, atlantique, démocratique, riche et industrielle

Les années 1980, élargissements vers l’Europe méditerranéenne : la Grèce en 1981, l’Espagne et le Portugal en 1986. L'Europe des Neuf devient donc l’Europe des Dix puis des Douze. Sur le plan politique et économique, ces États ont un profil tout à fait différent de ceux de la précédente vague d’adhésion : d'une part, ils ne sont devenus ou redevenus démocratiques que récemment (fin de la dictature entre 1974 et 1975 pour ces trois pays) et leurs démocraties sont encore fragiles. D'autre part, ce sont des pays agricoles et au niveau de vie peu élevé en comparaison aux anciens membres de la CEE. Cet élargissement permet un rééquilibrage de la CEE vers le Sud mais pose aussi de nombreux problèmes : les écarts de richesse sont désormais très grands entre les différents pays de la CEE alors que l'on entre dans une période de difficultés économiques importantes. Ces pays bénéficient rapidement de fonds structurels importants distribués par le FEDER créé en 1975 (Fonds Européen de Développement Économique Régional), c'est-à-dire d’aides financières visant à réduire les inégalités de développement entre les pays ou les régions membres.

 

B. Une construction difficile et incomplète

 

  1. Les obstacles et les difficultés de la CEE dans les années 1960

L’attitude de la Grande-Bretagne : pendant les premières années de la CEE, la GB a refusé d'en faire partie. Elle rejette en effet toute idée de supranationalité et ne veut rien abandonner de sa souveraineté. Surtout, elle refuse le principe de préférence communautaire imposé par la PAC et préfère se tourner vers le Commonwealth. Elle ne veut pas non plus d’un marché commun, qui oblige à adopter une politique tarifaire commune et préfère le simple principe du libre-échange. La GB tente donc d'abord de concurrencer la CEE en créant en 1959 L’Association Européenne de Libre-Échange (AELE). Elle ne tarde néanmoins pas à demander son adhésion à la CEE à partir du moment où elle prend acte des premières réussites de la CEE.

Les réticences de la France gaulliste. Les Traités de Rome ont été signés par des européistes convaincus alors au pouvoir en France. Mais depuis le mois de juin 1958, le général de Gaulle est aux affaires. Il affichait son hostilité à la construction européenne, mais une fois de retour au pouvoir, il respecte les engagements pris par ses prédécesseurs et accepte la participation de la France au marché commun. Rapidement cependant, de Gaulle montre des conceptions européennes très différentes de ses partenaires : il refuse toute idée d’Europe supranationale et toute idée d’intégration politique. À l’Europe supranationale, de Gaulle oppose « l’Europe des États ». Il souhaite en effet mener une politique d’indépendance nationale et ne souhaite pas confier la moindre parcelle d’autorité sur la France à une quelconque instance supérieure. Il est néanmoins favorable à la construction européenne dans le cadre de la prise de distance avec les États-Unis. Pour lui, cette construction passe par le rapprochement franco-allemand. Adenauer effectue sa première visite officielle en France en 1962 et assiste à une messe dans la cathédrale de Reims. L’année suivante, de Gaulle et Adenauer signent le traité de l’Élysée qui officialise la réconciliation franco-allemande. La méfiance des années 1950 est désormais oubliée.

De Gaulle s’est opposé à deux reprises à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE : il considère que ce serait faire entrer le cheval de Troie américain en Europe et il considère la CEE comme un contrepoids à la puissance des États-Unis. Tant que de Gaulle fut au pouvoir, l’élargissement n’était donc pas possible. La France n’hésite pas d’ailleurs à boycotter les réunions des chefs d’États européens lorsqu’il est question de faire évoluer les institutions vers la supranationalité : en 1965, la France pratique la  « politique de la chaise vide » en refusant de participer pendant six mois aux réunions des Conseils des ministres de la CEE. Le départ du Général de Gaulle assouplit la situation et permet à la GB d'entrer dans la CEE.

 

  1. Les blocages d'une construction seulement économique dans les années 1970 et 1980

Les années 1970 et 1980 sont une période de récession économique et dans la mesure où la CEE ne parvient pas à trouver de solution, chaque pays mène une politique autonome pour tenter d’en sortir. Les négociations sont ainsi parfois freinées par des intérêts nationaux. L'exemple de la Grande-Bretagne : en 1975, la GB avait envisagé de se retirer de la CEE et avait finalement organisé un référendum pour confirmer cette adhésion. Avec Margaret Thatcher comme Premier ministre en 1979, changement de perspective : elle refuse que son pays quitte la CEE mais il faut remodeler cette Europe pour la rendre conforme aux vues de Londres. Pour elle, la CEE doit devenir une zone de libre-échange mais se débarrasser de toute dimension interventionniste (notamment la PAC) et correspondre à un projet ultra-libéral. Son célèbre « I want my money back » (Dublin, novembre 1979) signifie qu’elle réclame également un bouleversement du système budgétaire de l’Europe (où les contributions des pays sont à la hauteur de leur richesse économique) : elle veut une équivalence entre ce que chacun verse à la communauté européenne et ce qu’il reçoit. En effet, la GB, en 1980, est un fort contributeur (20 %) mais elle ne bénéficie que de 9 % des dépenses communautaires.

Un pôle de prospérité sans dimension politique : à la fin des années 1980, on peut dire que la construction d’une Europe économique est un succès. La relance opérée depuis 1986 a permis d’approfondir les liens économiques qui unissent les douze. La CEE est alors le deuxième pôle économique mondial, après les États-Unis. Mais à cette époque, la CEE demeure une entité purement économique, sans dimension sociale. Malgré les bonnes intentions, le budget de la CEE s’élève à moins de 1 % des PIB des États membres. Il n’existe pas encore de véritable lien supranational au niveau politique et pour les questions sociales.

La CEE reste par ailleurs dépourvue d’une politique extérieure propre : l’absence de politique internationale est sa principale fragilité. La CEE n’a pas d’existence diplomatique ou militaire et ne peut intervenir dans les conflits, y compris lorsque ces conflits concernent le continent (à Chypre en 1974). Elle est pourtant affranchie de la tutelle américaine dans les années 1980, mais elle n’a pas de représentant unique pour les questions extérieures. Chaque pays se détermine en fonction de sa politique étrangère propre et ses membres sont souvent en désaccord.

 

III Difficultés de la construction d'une Europe politique sur un continent réunifié (depuis la fin des années 1980)

 

À la fin des années 1980, la CEE connaît des succès réels dans le domaine de l’intégration économique. Mais elle n’est à cette époque qu’une communauté économique, qui n’a pas réellement osé s’aventurer sur les autres questions. Cette construction s’est faite dans un contexte de Guerre froide et a donc été limitée de fait à l’Ouest du continent. La chute du communisme dans les démocraties populaires en 1989 puis en URSS en 1991 confronte la CEE à de nouveaux défis. C’est d'ailleurs dans un contexte de relance de la construction européenne que tombe le « Rideau de fer ».

 

A. Un élargissement sans précédent : l’Europe des 28

 

  1. La fin de la division du continent européen

- La chute du bloc communiste en 1989 en Europe de l'Est ouvre de nouvelles perspectives à la construction européenne grâce à la démocratisation progressive des pays en question. Après quelques hésitations, les pays membres décident de la vocation de la CEE à s'élargir à la taille du continent. Ils fixent à la conférence de Copenhague les critères d’adhésion : accepter l’ « acquis communautaire », c'est-à-dire l’ensemble des droits déjà en vigueur dans l’UE, être un État démocratique et avoir une économie de marché capable de faire face à la libre concurrence au sein de l’UE.

- Le processus d'adhésion se fait en plusieurs étapes : il concerne d'abord les pays neutres, délivrés des contraintes de la Guerre froide : Autriche, Suède et Finlande entrent dans l'Union en 1995. En 2004, huit anciens pays communistes ainsi que Malte et Chypre sont acceptés dans l'UE. Ils sont rejoints en 2007 par la Bulgarie et la Roumanie.  La Croatie est le dernier pays à être entré dans l’UE (2013) et porte l’UE à 28 Etats.

 

  1. L'élargissement en question

- Les difficultés nées des élargissements : l’admission de nouveaux membres a permis à l’UE d’accroître son poids dans le monde et aux entrants de consolider leur stabilité et de profiter des avantages de l’adhésion. Mais de ce fait, les nouveaux entrants, bien moins développés, accaparent une part importante des contributions et des fonds du FEDER, au détriment de ceux qui avaient l’habitude de les recevoir. L’élargissement de l’Europe a de plus accru les disparités, notamment économiques, entre les États membres. Par exemple, le poids économique des 10 pays intégrés en 2004 équivaut, lors de leur adhésion au PIB des seuls Pays-Bas, soit moins de 5 % du PIB européen. Cette coupure entre Ouest et Est, qui accuse un certain retard économique, de plus en plus comblé par ailleurs, rend encore plus délicate la création d’une réelle unité européenne. Par ailleurs, les divergences sont parfois nombreuses entre certains anciens pays fondateurs et le nouveaux pays membres : les nouveaux États membres, qui viennent d’accéder à l’indépendance rêvée, sont très attachés à leur souveraineté. Comment leur demander de passer directement à l’abandon d’une part de leur souveraineté au sein d’un ensemble supranational sans avoir même eu le temps d’exercer pleinement cette souveraineté au sein de leur État ? Enfin, le passage de 12 à 28 membres oblige à une réforme des institutions désormais inadaptées car elles n'ont pas été conçues pour gérer une structure si large.

- Les frontières de l'Europe : cet élargissement a posé la question des limites du continent européen. La Turquie en fait-elle partie et peut-elle donc être admise dans l'UE ? Elle en a fait la demande dès les années 1980 et des négociations ont été entamées en 2005. Les partisans font valoir que l'entrée de la Turquie dans l'UE serait un atout géopolitique majeur dans les relations avec le Moyen-Orient et une chance pour les économies européennes. Les adversaires mettent en avant les aspects problématiques de la candidature turque : d'abord, la Turquie refuse de reconnaître la République de Chypre qui fait pourtant partie de l’UE... Ensuite, malgré les efforts pour satisfaire aux critères de convergence, la question des droits de l’homme reste épineuse sur la question de la liberté d’expression, du droit des femmes et des minorités, kurde en particulier. Enfin, la Turquie ne doit pas importer ses problèmes de voisinage dans l’UE et doit donc trouver des solutions avec l’Arménie, la Syrie et l’Irak. Au fond, beaucoup mettent aussi en avant la différence culturelle et le fait que la population turque soit majoritairement musulmane, même si la religion ne constitue aucunement un critère d’adhésion, d’autant plus que le pays est laïc.

 

B. Un approfondissement important mais aujourd'hui en panne

 

  1. Les progrès de la logique d'approfondissement politique

Depuis la CECA, la construction de l'Europe s'était faite avant tout dans le domaine économique. La construction d'un marché unique, prévue par la signature de l’Acte Unique européen en 1986, a des implications qui vont au-delà du simple secteur économique : dans un marché unique, les frontières des États n’ont pas plus d’importance que les limites administratives au sein des pays. La mise en place d’un marché unique suppose la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux mais aussi des hommes : c’est pourquoi depuis 1995 est appliquée la convention de Schengen (les accords ayant été signés 10 ans plus tôt) qui prévoit la libre circulation des personnes dans les pays signataires. L’espace Schengen réunit 26 pays aujourd’hui (dont quelques pays non membres de l'UE).

Le traité de Maastricht couronne la logique d'approfondissement politique énoncée par l'Acte Unique. Il est signé en 1992 et prévoit la transformation de la Communauté en Union européenne et la mise en place d'une Union économique et monétaire qui aboutit à l'adoption de la monnaie unique, l’euro, mise en circulation en 2002. L'UE pousse ainsi très loin l'intégration économique, 12 pays renoncent à un élément essentiel de leur souveraineté. 19 pays sont membres de la zone euro en 2015. Maastricht est aussi un traité politique puisqu'il créée une citoyenneté européenne, renforce les pouvoirs du Parlement européen et prévoit une politique étrangère et de sécurité commune.

 

 

 

  1. Une construction politique néanmoins encore faible

Les difficultés rencontrées pour établir une politique étrangère commune illustrent la faiblesse de la construction politique : si de très modestes progrès sont réalisés grâce à l'initiative du couple franco-allemand (création en 1992 d’une brigade franco-allemande, devenue Eurocorps lorsqu’elle est rejointe par la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne), cette volonté se heurte à des difficultés : l’exemple de la crise yougoslave (1991 – 1999) montre l’incapacité flagrante de l’UE à parler d’une seule voix et à intervenir avec efficacité sur le continent européen même ! La division de l’UE face à la perspective de l'intervention en Irak aux côtés des États-Unis en 2003 a encore montré les faiblesses de la construction européenne, tout comme l’actuelle crise en Ukraine. Certains États membres restent sur des positions atlantistes (notamment le Royaume-Uni et les nouveaux États membres), défendant l’idée selon laquelle l’Europe a besoin de la protection américaine. D’autres États, la France et l'Allemagne, voient dans l’Europe un facteur d’équilibre à l’hyperpuissance américaine, d’où la nécessité de parler d’une voix commune et assurée sur la scène internationale. Ainsi, si l’UE s’affirme comme une puissance économique à l’échelle mondiale, elle n’en est pas pour autant une puissance diplomatique : la fragmentation entre les États membres l’emporte encore sur ce point.

 

  1. La crise des années 2000 et la réforme des institutions

Dans les années 2000, les institutions européennes sont critiquées car :

- Elles sont de moins en moins efficaces à cause du nombre de pays présents et du mode de scrutin qui paralyse souvent les décisions : au Conseil des ministres, pour qu'une décision soit acceptée, l'unanimité était encore souvent la règle. L'UE n'avait par ailleurs pas de Président ou de ministre des Affaires étrangères unique pour lui permettre de faire entendre sa voix à l'échelle internationale. La présidence était tournante, chaque pays l'exerçant à tour de rôle pendant 6 mois, ce qui ne permet pas de mener une politique claire et continue.

- Elles ne sont pas suffisamment démocratiques : seul le Parlement européen est élu au suffrage universel direct. Les membres des autres institutions sont nommés par les États. Ce sont donc des organes non élus par les citoyens européens qui prennent les décisions les plus importantes : la Commission a l'initiative des lois et le conseil des ministres vote les textes à huis-clos. Beaucoup accusent la construction européenne d'être l'œuvre de technocrates coupés des citoyens.

Une réforme des institutions était donc nécessaire pour rendre les institutions plus efficaces et plus démocratiques. À partir de 2002, une commission de réflexion avait rédigé un projet de traité constitutionnel qui a finalement été refusé par référendum en France et aux Pays-Bas en 2005. Les années 2005 – 2009 ont été marquées par une panne de la construction politique de l'Europe, dont on a fini par sortir avec la ratification d'un traité simplifié, le traité de Lisbonne, qui reprend les ¾ des dispositions du projet de constitution. Ce traité est entré en vigueur en décembre 2009. Voici quelques-unes des réformes qui tiennent compte des critiques formulées ci-dessus : pour l'efficacité : généralisation du vote à la majorité qualifiée au détriment du vote à l'unanimité. Un Président du conseil des ministres est élu pour deux ans et demi par le Conseil européen (mais le système de présidence tournante perdure malgré tout). Un représentant unique assure par ailleurs les Affaires étrangères. Pour le caractère démocratique : Les pouvoirs du Parlement sont renforcés dans certains domaines. Un droit d'initiative citoyenne est instauré : si une pétition réunit un million de signatures, le Parlement doit examiner la question. Le Conseil des ministres délibère désormais en public. L’adoption d’une Charte des droits fondamentaux vise à donner une dimension sociale qui fait défaut à l'UE.

La montée de l'euroscepticisme :l'UE connaît un manque d'adhésion populaire qui va croissant : le taux d'abstention aux élections européennes est toujours très élevé. Le projet de traité constitutionnel a été refusé par référendum dans deux pays et on n'a donc pas osé soumettre le traité de Lisbonne au vote des citoyens : il a été ratifié par voie parlementaire, accréditant l'opposition de ceux qui affirment que la construction européenne se fait malgré l'opposition des citoyens. Les partis protestataires, souverainistes ou eurosceptiques font des scores importants et reprochent à l'Europe son intrusion dans les affaires nationales des États membres. Pour les fédéralistes au contraire, l'UE manque d'une institution supranationale qui lui permettrait de parler d'une seule voix. La violente crise des dettes publiques que traverse l'UE depuis 2010 et les difficultés qui menacent l'euro font nettement réapparaître les clivages entre pays européens, posent la question de la solidarité entre les pays membres et mettent en avant leur incapacité à s'entendre. 

Publicité
Publicité
Publicité